J’ai déjà traité de ce sujet mais
la situation s’étant détériorée, je récidive. Il se passe quelque chose
d’anormal, ici même, sur notre planète.
Pour une fois qu’en une
circonstance donnée il y a synchronisme chez les humains, je voudrais qu’il en
soit autrement. C’est un fait qu’un individu qui prend un café à Rio agisse
comme ceux et celles qui s’attablent à un autre café à Florence, Reykjavik ou
Montréal.
Ils sortent leur ordinateur, le
mettent en marche, pianotent quelques touches puis leur esprit se sépare de
leur corps pour aller là où le Web les emmène. On se rend dans un lieu public
pour être moins seul et aussitôt assis on quitte pour un ailleurs virtuel,
comme dans une opiumerie.
Vendredi je suis allé au Café
Expression. Il y avait treize clients, onze d’entre eux avaient les yeux rivés
sur leur écran! Le Café Expression c’est l’ancien Porté Disparu. Le téléphone
cellulaire était proscrit pour favoriser les échanges humains! C’était devenu
un lieu culte.
Les téléphones n’étaient pas «
intelligents », on ne trainait pas son ordinateur avec soi, il n’y avait pas
de Wi-Fi. Il me semble que c’était hier. Au Porté Disparu les clients se
reconnaissaient, on s’invitait aux tables déjà occupées, on se saluait, on
parlait, on s’esclaffait. Portés disparus, nous devions laisser notre téléphone à
l’entrée ou le fermer, on ne pouvait nous rejoindre.
Aujourd’hui, en plus de
l’ordinateur, il y a les rallonges électriques qui passent entre les chaises,
il y a les téléphones intelligents qui ne transportent plus la voix mais qui
complémentent les ordinateurs, un cordon relie souvent ces machins aux oreilles.
Indifférents à ce qui se passe hors de leur bulle ces gens occupent l’espace que
quatre personnes occupaient.
J’ai déjà suggéré aux proprios de
n’offrir que de petites tables, fixes et qu’il n’y ait pas de prises
électriques accessibles, ni de Wi-Fi. On m’a répondu : «Aussi bien fermer,
je n’aurai aucun client, les gens m’engueulent s’il n’y a pas de prises
disponibles, on se bat pour les tables adjacentes aux murs, proches des prises!
La qualité du café importe peu ce qui compte c’est le Wi-Fi». Avez-vous
remarqué que les mots croisés dans les journaux fournis sont rarement
complétés? C’est que les gens s’occupent sur leurs bidules électroniques.
Il n’est pas rare d’entrer dans
un café et de rebrousser chemin après avoir tenté de repérer une table libre, en
vain. Les ordis et documents prennent la toute la place. C’est déprimant. Tout
ce que voudrais c’est un coin de table pour y déposer ma tasse, quand j’ai un
livre je peux le tenir sur moi. Comment ces commerçants peuvent-ils survivre
avec si peu de clients qui occupent tant de place et qui consomment si peu? Je
m’interroge. La situation semble moins radicale hors de la grande ville, hors
de Montréal. Le Wi-Fi est partout mais les relations humaines paraissent plus
faciles, je me trompe peut-être.
Le livre aussi nous emmène ailleurs mais le
lecteur reste plus conscient de son environnement, il lèvera les yeux pour
saluer un voisin de table, combien de fois m’a-t-on parlé d’un livre qu’on avait
en main!
Quelle sera la prochaine étape? Ne
sous estimons pas l’humain. Cependant je garde espoir, je me dis qu’un jour il
sera « IN » de se rendre dans un café sans ordinateur, sans téléphone, sans
livre, que le truc sera de parler, d’échanger. J’imagine que les gens croiront
avoir découvert la communication, les échanges humains!
Il n’y a que sur Terre que ça se
passe ainsi.
Grand-Langue