24 avril 2016

Être et ne pas y être


J’ai déjà traité de ce sujet mais la situation s’étant détériorée, je récidive. Il se passe quelque chose d’anormal, ici même, sur notre planète.

Pour une fois qu’en une circonstance donnée il y a synchronisme chez les humains, je voudrais qu’il en soit autrement. C’est un fait qu’un individu qui prend un café à Rio agisse comme ceux et celles qui s’attablent à un autre café à Florence, Reykjavik ou Montréal.

Ils sortent leur ordinateur, le mettent en marche, pianotent quelques touches puis leur esprit se sépare de leur corps pour aller là où le Web les emmène. On se rend dans un lieu public pour être moins seul et aussitôt assis on quitte pour un ailleurs virtuel, comme dans une opiumerie.

Vendredi je suis allé au Café Expression. Il y avait treize clients, onze d’entre eux avaient les yeux rivés sur leur écran! Le Café Expression c’est l’ancien Porté Disparu. Le téléphone cellulaire était proscrit pour favoriser les échanges humains! C’était devenu un lieu culte.

Les téléphones n’étaient pas « intelligents », on ne trainait pas son ordinateur avec soi, il n’y avait pas de Wi-Fi. Il me semble que c’était hier. Au Porté Disparu les clients se reconnaissaient, on s’invitait aux tables déjà occupées, on se saluait, on parlait, on s’esclaffait. Portés disparus, nous devions laisser notre téléphone à l’entrée ou le fermer, on ne pouvait nous rejoindre.

Aujourd’hui, en plus de l’ordinateur, il y a les rallonges électriques qui passent entre les chaises, il y a les téléphones intelligents qui ne transportent plus la voix mais qui complémentent les ordinateurs, un cordon relie souvent ces machins aux oreilles. Indifférents à ce qui se passe hors de leur bulle ces gens occupent l’espace que quatre personnes occupaient.

J’ai déjà suggéré aux proprios de n’offrir que de petites tables, fixes et qu’il n’y ait pas de prises électriques accessibles, ni de Wi-Fi. On m’a répondu : «Aussi bien fermer, je n’aurai aucun client, les gens m’engueulent s’il n’y a pas de prises disponibles, on se bat pour les tables adjacentes aux murs, proches des prises! La qualité du café importe peu ce qui compte c’est le Wi-Fi». Avez-vous remarqué que les mots croisés dans les journaux fournis sont rarement complétés? C’est que les gens s’occupent sur leurs bidules électroniques.

Il n’est pas rare d’entrer dans un café et de rebrousser chemin après avoir tenté de repérer une table libre, en vain. Les ordis et documents prennent la toute la place. C’est déprimant. Tout ce que voudrais c’est un coin de table pour y déposer ma tasse, quand j’ai un livre je peux le tenir sur moi. Comment ces commerçants peuvent-ils survivre avec si peu de clients qui occupent tant de place et qui consomment si peu? Je m’interroge. La situation semble moins radicale hors de la grande ville, hors de Montréal. Le Wi-Fi est partout mais les relations humaines paraissent plus faciles, je me trompe peut-être.

 Le livre aussi nous emmène ailleurs mais le lecteur reste plus conscient de son environnement, il lèvera les yeux pour saluer un voisin de table, combien de fois m’a-t-on parlé d’un livre qu’on avait en main!

Quelle sera la prochaine étape? Ne sous estimons pas l’humain. Cependant je garde espoir, je me dis qu’un jour il sera « IN » de se rendre dans un café sans ordinateur, sans téléphone, sans livre, que le truc sera de parler, d’échanger. J’imagine que les gens croiront avoir découvert la communication, les échanges humains!

Il n’y a que sur Terre que ça se passe ainsi.

Grand-Langue

11 avril 2016

L'Homme et ses Potins

Est-ce malvenu d’écrire que la disparition de Jean Lapierre des ondes ne me manque pas? On le sait, l’homme est mort dans des circonstances tragiques particulières. On ne souhaite cela à personne, cela va sans dire.

Une période de silence devait être respectée, c’est fait. Aujourd’hui je l’affirme, je préférais à peu près tous les analystes politiques qui remplaçaient Lapierre lors de ses vacances que l’homme en question.

Lapierre, celui qui mangeait à tous les râteliers parlait rarement de politique, il rapportait et commentait les potins, les rumeurs, les sondages. C’était l’Édouard Rémi de la politique. Il était au courant des magouilles, des alliances politiques et des stratégies électorales mais il parlait peu de la société, des politiques véritables pouvant influer le quotidien des gens.

Il s’intéressait aux pourcentages de votes qu’un candidat pouvait obtenir mais ces interventions ne traitaient jamais des idées sociales ou politiques, du fond des choses, de l’histoire, de ce qui se passait ailleurs. En suivant Lapierre on était informé des jeux de coulisses mais le Monde se limitait à Québec et Ottawa.

Les journaux, les stations de radio et de télé aimaient recevoir l’homme qui maitrisait le sens du spectacle, qui faisait grimper les cotes d’écoute en faisant usage d’un langage coloré. Il était aussi utile aux politiciens avides d’informations pouvant leur servir lors d’élections. Mais si vous vouliez connaître le pourquoi du pourquoi, il fallait écouter ou lire des gens plus sérieux, des gens dont le contenu primait sur le divertissement. En ce sens, Chantal Hébert et lui-même formait un couple troublant, des contraires, pas des compléments.

Il me faisait souvent sourire, je l’avoue, il maniait bien la langue, il travaillait beaucoup mais cela ne rend pas un homme aussi marquant pour une société, comme les médias ont voulu nous le faire croire.

Grand-Langue